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Dialegein

La formation philosophique ouvre l'esprit à la considération de la diversité des objets. Ce blog d'un professeur de philosophie propose des articles thématiques variés.

Meirieu, le moderne.

Publié le 25 Octobre 2006 par Bruno Guitton in Philosophie

 

 

Meirieu, le moderne.

 

Phillipe Meirieu a écrit: On a assisté à une grande complexification des problèmes que doit savoir résoudre un individu pour ne pas être trop victime des manipulations habiles des media, des politiques, des publicitaires et autres partenaires de toutes sortes,   qui se satisfont pleinement - même s'ils proclament le contraire - de citoyens dociles obéissant passivement à leurs suggestions ou à leurs injonctions. Pour dire les choses en d'autres termes, la citoyenneté d'aujourd'hui exige infiniment plus de compétences qu'hier, tant pour l'exercice d'une vie professionnelle de plus en plus difficile et chaotique que pour la gestion intelligente de ses loisirs ou l'exercice du discernement politique... Et, au moment où il faudrait reconnaître l'importance de ces compétences, l'Ecole traditionnelle et ses défenseurs continuent à faire comme si le degré de dignité d'une discipline scolaire était systématiquement inversement proportionnel aux compétences qu'elle permettait de développer : la philosophie reste, pour beaucoup, plus "digne" que le français, les mathématiques que la physique, le latin et le grec que les langues vivantes, etc. Ce que l'on pourrait résumer, de manière un peu caricaturale, j'en conviens, par la formule : "plus une matière est utile, moins elle est prestigieuse"... Ou, si l'on préfère être plus nuancé : "le prestige d'une discipline scolaire n'est pas lié aux problèmes qu'elle permet de résoudre mais à la formation intellectuelle abstraite qu'elle permet d'acquérir"... Ce qui peut, parfaitement, être défendu en toute bonne foi. (1)

Meirieu (2) est un moderne. Meirieu est même le moderne des modernes. En prise directe avec les réalités. Sa thèse est simple : pour éviter les manipulations médiatiques et politiques, et pour savoir gérer la complexité du monde moderne, il faut élargir les compétences (cf.capacités à faire) et ne pas tomber dans le piège de la valorisation des abstractions (cf nuées éthérées), incapables de produire la nouvelle utilité défendue par certaines disciplines, et pas par d’autres.

Or ce qui frappe chez le moderne Meirieu, c’est précisément l’absence de sentiment de la filiation, et aussi sa croyance naïve en d’un côté l’abstraction qui ne sert à rien, et de l’autre, la pratique qui elle est utile. Meirieu est anhistorique. Meirieu s’est fait lui-même. Il est causa sui. Il oublie que les élites françaises comme les élèves du certificat d’études ont été baignés dans les abstractions, dans la rédaction formelle, dans les lettres, dans le discours historique, dans la version ou le thème, dans la métaphysique et les questionnements éthiques, et qu’ils ne sont pas tous devenus professeurs, écrivains, hauts fonctionnaires… Il y eut aussi un peu de médecins, d’avocats, d’ingénieurs, de petits commerçants ou d’artisans, d’ouvriers, de petits employés, etc. Tiens mon père par exemple. Certificat d’étude en toute humilité. Orthographe et graphisme impeccables, se souvenant des fables de la Fontaine, a fait un excellent charcutier. Donc un homme de l’utilité. Mais Mérieu est moderne. Il ignore que les charcutiers de l’ancienne école tenaient leur maître d’école, professeur d’abstraction comme celui qui allait les mettre au monde. Meirieu ne fait l’histoire que des structures, du formalisme vide des pédagogistes. Il est fasciné par les ouvrages de pédagogie qui disent ce qu’il faut faire dans la docte certitude du verbiage. Des ouvrages du temps présent de ceux qui ignorent le passé. Pas celui des rapports officiels, mais des gens. Le passé des gens. Pas celui des pédagogues mais des professeurs ou des maîtres. Pas le petit passé de ceux qui acceptent la profession de foi des types d’ici et de maintenant, des types du « je vais vous dire quelle activité faire avec les apprenants », « prenez en compte leurs goûts dans une pédagogie transversale pour organiser des petites activités récréatives », mais des professeurs qui font leurs cours à partir de leurs travaux quotidiens, révisant inlassablement leur matière. Meirieu ignore l’orthodoxie. L’enseignement droit. La parole du maître qui élève. La parole de celui qui se donne l’autorité par le sacrifice de l’étude, de l’approfondissement. Il préfère les schémas. Avec des flèches les schémas. Les opinions des IUFMeurs. Meirieu est dans l’air du temps.

Autre chose, il dit que les tenants de l’ancienne école préfèrent le latin et le grec aux langues, moins dignes, car sans doute réduites à la communication. Meirieu ignore ce qu’est une langue. Meirieu pense que l’anglais se réduit à « What time is it ? » Meirieu manque Shakespeare, Locke, Hobbes, Carlyle. Donc les abstraits avec lesquels on ne peut rien faire. Meirieu voit court, Il lui manque de la hauteur. Il fait du rase motte.

Meirieu pense que la philosophie ne résout pas de problème. Mais dans la limitation de sa vue courte, il pense le problème comme un problème de plomberie. Il y en a certes, mais il y en a d’autres. Le sens de la vie ou le fondement de l’Etat par exemple. Pas utile cela pour s’orienter dans l’existence, donc dans la pensée. Meirieu pense que ce qui est vrai en théorie ne l’est pas en pratique. Donc il  ignore alors la notion de modèle en sciences. Il ignore aussi l’opuscule de Kant de 1793 : Sur le lieu commun : il se peut que ce soit juste en théorie, mais en pratique, cela ne vaut rien.

Mais Meirieu me pardonne dans son infinie bonté de moderne modernisé. Je suis sans doute de bonne foi me concède-t-il. Je peux donc dire n’importe quoi, c'est-à-dire ce qui est anti-moderne, parce que je ne connais pas les réalités. Je suis attaché à mes prébendes. Mais c’est amusant. Quand toute l’école d’avant n’était que les prébendes de la république et de l’autorité de l’éducation, fière d’elle-même et de sa mission, les maîtres s’enorgueillissaient des prébendes de la nation. Maintenant, il y a les prébendes des modernes. Des étudiants qui étudient cela par exemple : (La difficulté est le Moment pédagogique de la résistance de l'autre comme une chance...et le refus de l'alternative, culpabilisation de l'enseignant/exclusion de l’enseigné,  qui renvoie à la mémoire pédagogique, c'est-à-dire à la restauration de  prototypiques et d'actions possibles pour faire face au "moment pédagogique" proposées par la littérature  pédagogique et par ailleurs aux caractéristiques de la situation et discernement des enjeux présents pour les personnes concernées. Le tout aboutissant à  la "circulation narrative"  permettant de se construire et de se comprendre en actes, permettant également d'entrer dans l'intelligence d'une relation éducative où l'action de l'éducateur n'est jamais la cause de l’émergence de la liberté de l´éduqué. Philippe MEIRIEU, Passage à l’acte.) sont des gens à qui on ne rend pas un service. On pourrait même croire qu’on leur en veut. Qu’ils n’ont rien fait pour mériter ça. Malheureusement, ils sont des gens qui vont rarement croiser des élèves, mais des éduqués dans une circulation narrative. Mais qu’on se rassure, le maître n’a rien à voir avec l’émergence de la liberté de l’élève. Alors, on se demande : il a à voir avec quoi au juste ? Avec la littérature pédagogique ? Oxymore dangereux pour les élèves et pour les jeunes profs. Ah, mais je me trompe. Ce sont des appreneurs. Donc pas des professeurs parce que le professeur a tout à voir justement avec la liberté de l’élève, avec la liberté des gens, avec sa liberté. Il n’est là que pour ça, justement, précisément, absolument. Il aime sa discipline donc il sait qu’elle est là pour la liberté. Les appreneurs alors ne sont pas de son équipe. Ils ne font pas équipée ensemble. Ils ne font pas les mêmes métiers. Ou mieux, les autres le font et pas les premiers. Ou alors, il y a des nouveaux métiers. Profession appreneur dans une école où ils furent des apprenants. Mais c’est une autre école. L’école de l’apprenantissage. Qui tissent des liens de narration d’apprenants/appreneurs mais pas une instruction, une culture, un esprit. Des questions et une aventure. Des auteurs et l’âpre travail du lecteur qui cherche à s’aviser.

Alors que les apprenants, tisseurs de narration d’apprenantissage laissent un peu les autres, les professeurs, les tenants de l’ancienne école, les dépassés, les vieilles friches, faire leur métier et s’occuper de la liberté des élèves, c'est-à-dire des hommes !

 

BRUNO GUITTON

 

NOTES

(1) http://www.meirieu.com/DICTIONNAIRE/connaissances.htm

(2) Docteur d'Etat ès lettres et sciences humaines après avoir été professeur de philosophie et de français dans l'enseignement secondaire, instituteur puis responsable d'un collège expérimental à Lyon.  Philippe Meirieu est actuellement professeur en sciences de l'éducation à l'Université Lumière-Lyon 2 et directeur de l'Institut des Sciences et Pratiques d'Education et de Formation (ISPEF)de l'université Lumière- Lyon2. Dans le cadre de ses activités dans un collège expérimental, il a mis en place une structure pédagogique originale où les élèves pouvaient choisir leurs professeurs et leurs enseignements. Il a pu ainsi vérifier la validité de l'hypothèse de la "pédagogie différenciée" selon laquelle la multiplication des itinéraires d'apprentissage et le fait de permettre à chacun de recevoir un enseignement adapté, favorisaient la réussite de tous.   En 1988, il a été associé à la réflexion nationale sur les contenus de l'enseignement en France et sollicité pour élaborer les Instituts Universitaires de Formation des Maîtres. De 1990 à novembre 1993, il a été membre du conseil national des programmes.  A la rentrée 1993-94, Philippe Meirieu a repris, à côté de ses activités universitaires, un enseignement de français dans un lycée d'enseignement professionnel de Vénissieux.  Aujourd'hui, dans le cadre du laboratoire de pédagogie de l'université Lumière-Lyon 2, il poursuit ses recherches sur le thème des apprentissages et travaille, en particulier, sur la question du "transfert de connaissances", sur la place de l'éthique dans la réflexion pédagogique ainsi que sur les rapports entre les apprentissages et la socialisation : quel est le rôle de l'école dans la création du "lien social"?

http://www.ac-grenoble.fr/mureils/reflexio/biomeirieu.htm

 

 

 

 

 

 

                                                                                                

 

 

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